Bellaciao
Émirats arabes unis : derrière l’image bling-bling, les fossoyeurs de la liberté dans le Golfe
Les influenceurs français expatriés à Dubaï font beaucoup parler d’eux. Un bon moyen pour les Émirats arabes unis d’occulter une autre réalité bien moins favorable en termes d’image… Dans les prisons émiraties croupissent des dizaines d’opposants et d’universitaires dont le seul tort est de demander davantage de pluralisme et de liberté. Leur nom : les « UAE 94 ».
Les dorures des palais, les centres commerciaux luxueux, les émissions de télé réalité et l’image idyllique des activités touristiques masquent encore l’enfer de la réalité aux Émirats arabes uni. Parler de la famille Al-Maktoum qui règne à Dubaï, discuter de la famille Al-Nahyane, qui préside aux destinées d’Abu Dhabi, ou encore évoquer la prostitution ou l’homosexualité sont autant de tabous qui peuvent mener en prison. Aux Émirats, la liberté d’expression n’existe pas. C’est la règle. Soit vous l’acceptez, soit vous partez. Sinon, la case prison vous attend.
Derrière les apparences, une répression féroce
Cette triste réalité semble à des années-lumière du portrait trop souvent dressé par les médias occidentaux. Abu Dhabi et Dubaï, les deux principales entités politiques des Émirats arabes unis (EAU) qui en comptent sept, ne sont pas des havres de paix et de modernité.
Pourtant, les deux petits émirats n’ont pas ménagé leurs efforts de communication pour soigner leur image de paradis touristique, ou de havre de tolérance pour les droits de la femme. Un club très restreint existe même pour les femmes férues de voitures de luxe. Mais en grattant un peu le vernis doré, la réalité des Émirats devient beaucoup moins reluisante : paradis fiscal, repaire du tourisme sexuel, plaque tournante du trafic de drogue… Derrière les apparences, les EAU ont de plus en plus de mal à cacher leur part d’ombre.
Ce constat, des Émiratis eux-mêmes l’ont fait. Et ils croupissent en prison. Ce sont les « UAE 94 » : arrêtés en 2012, ces membres de la société civile ont été jugés à huis clos en mars 2013 après leur disparition forcée, des mauvais traitements et, dans certains cas, des séances de torture, selon Human Rights Watch (HRW). Leur tort avait été de réclamer davantage de droits de l’Homme et de démocratie, ou d’avoir appartenu à l’association Al-Islah, promouvant une réforme sociétale des Émirats. La petite centaine d’activistes, alors jugée lors d’un procès collectif « n’ayant pas respecté les normes minimales d’équité » d’après le rapport de HRW, ont écopé de 7 à 15 ans de prison. Parmi ceux ayant déjà purgé leur peine, certains n’ont pas pour autant été libérés. Dans l’obscurité de leur geôle, ils sont sans contact avec le monde extérieur. Même les membres de leurs familles ne les ont pas vus depuis plusieurs années.
Ces membres de la société civile emprisonnés en 2012 ne sont pas des anarchistes ou des dangereux révolutionnaires : ils se nomment Dr. Mohammed Al-Roken, avocat alors très en vue sur les questions de droits humains, Khaled al-Shabibi et Mohammed Al-Mansoori, tous deux juristes, ou encore Hadef Al-Owais, alors doyen de la Graduate School de l’Université des EAU… Même Sheikh Sultan Al-Qasimi, membre de la famille régnante du petit émirat de Ras Al-Khaimah, à l’extrême nord du pays, a subi le même sort. Il ne fait pas bon parler de démocratie et de liberté d’expression aux Émirats.
Détention arbitraire des « UAE 94 »
Comme dans tous les pays dictatoriaux voulant se draper dans les habits de la modernité, le chef d’accusation n’a rien d’étonnant : les 94 « coupables » avaient été accusés « d’atteinte à la sûreté de l’État » et de « vouloir renverser le régime », alors qu’ils n’avaient réclamé que davantage de pluralisme politique et de respect des droits de l’Homme. Human Rights Watch n’est pas la seule organisation de défense à s’être insurgée contre cette situation que les chancelleries occidentales préfèrent ignorer, business oblige. Ces dernières années, Amnesty International n’a en effet pas cessé de communiquer sur l’affaire : « Les prisonniers de ce groupe croupissent derrière les barreaux depuis plus de neuf ans maintenant, certains n’étant même pas autorisés à voir ni à parler à leur famille pendant plusieurs années de suite, déclarait Lynn Maalouf en 2021, alors directrice adjointe du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord à Amnesty International. Les effets dévastateurs de cette politique cruelle ont sauté aux yeux à la mort d’Alaa al-Siddiq, fille de Mohamed al-Siddiq, prisonnier qui fait partie de ce groupe. Elle est morte alors qu’elle n’avait pas parlé à son père depuis trois ans puisque les autorités avaient coupé toute communication. » Comme tous les accusés, Al-Siddiq a fait l’objet, selon Amnesty, d’une « violation du droit à un procès équitable » et d’une « détention arbitraire ». Avec la mort de sa fille, ce dossier vient de faire une victime de plus.
Aujourd’hui, parmi ceux qui auraient dû être libérés au terme de leur peine en 2020, 17 sont encore en prison, comme le gendre de Mohamed al-Siddiq. La version officielle est simple et sans appel : ces « oubliés » sont maintenant tombés sous le coup de la loi relative à la lutte contre le terrorisme, autorisant l’État à « maintenir en détention sans limitation de durée les personnes adoptant un mode de pensée extrémiste ou terroriste ». Cela rappelle étrangement les pires dictatures au monde, du Chili de Pinochet à la Roumanie de Ceaușescu.
Rien ne fera plier le pouvoir
Que faudra-t-il donc pour changer le destin de tous ces prisonniers ? En 2015, d’autres activistes ont lancé au Royaume-Uni l’International Campaign for Freedom in the United Arab Emirates (ICFUAE) qui ne cesse d’alerter l’opinion publique sur les agissements en toute impunité des élites politiques émiraties. Sans succès malheureusement. Le juge Falah al-Hajri, membre de la Cour suprême des EAU et président du procès du 2013, ne pliera pas. « Al-Hajri semble penser que son travail consiste à faire respecter la volonté des élites politiques émiraties au sein des EAU plutôt que d’appliquer des lois justes et de garantir les principes fondamentaux des droits et d’une procédure régulière, déplore Jon Hoffman, directeur de recherche chez DAWN (Democracy for the Arab World Now). Il est choquant qu’un juge puisse entendre tant de plaintes de torture de différents prisonniers tout au long de des mois de détention (préventive) et pendant les audiences du tribunal, sans rien faire pour rétablir ne serait-ce qu’un minimum de justice dans son tribunal. »
Parmi les 94 activistes embastillés, quelques-uns ont tout de même retrouvé la liberté, comme Abdul Rahman Bin Sobeih Al-Suwaidi en 2019, un ressortissant émirati connu pour son activisme prodémocratie. Seule condition à sa sortie de prison : Al-Suwaidi a dû publiquement affirmer qu’il n’avait pas été – tous comme les autres accusés – victime de mauvais traitements, et qu’il condamnait désormais les activités de l’association Al-Islah. Aux Émirats, la liberté est à ce prix. Au prix de la dignité.
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