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Voici l’intervention de Florine, lycéenne au Mémorial de CAEN lors des
plaidoiries des Lycéens sur le thème de La Faim dans le Monde.Mesdemoiselles, mesdames, messieurs,
Il y a encore tant de violences perpétrées contre les hommes qu’il est malheureusement difficile de savoir laquelle dénoncer en priorité... Cependant, parmi tous les Droits qui restent à défendre, j’ai choisi de vous parler du droit à l’alimentation : le plus élémentaire, le plus vital. Comment peut-on s’imaginer qu’au 21ème siècle, en parallèle des progrès technologiques de pointe et de la surabondance, le simple accès à la nourriture n’est pas acquis pour des milliards d’êtres humains ? Justement, le plus écœurant est peut-être que les nantis que nous sommes ne pouvons pas vraiment imaginer ce qu’est une vie passée à seulement tenter de survivre. Il est pourtant de notre devoir de ne pas oublier que nos choix de société ont des répercussions bien réelles sur des vies humaines. Un enfant de moins de 10 ans meurt de faim toutes les 6 secondes. 1... 2... 3... 4... 5... 6... X. Concrètement.
Mais je ne veux pas vous apitoyer plus longtemps. Je veux montrer que nous consentons à la pérennité de la faim, puisque seule l’absence de volonté politique nous sépare de son éradication. Jean Ziegler a la pertinence d’appeler les choses par leur nom ; la dette des pays en développement, et sa conséquence directe : la faim, sont des armes de destruction massive utilisées par les puissants pour asservir les peuples. Un être humain qui meurt actuellement de la faim est un humain assassiné.
En 2005, 848 millions d’être humains étaient gravement et en permanence sous-alimentés. Aujourd’hui ils sont plus d’1 milliard. Avec le récent sommet de la FAO, vous n’avez pas pu ne pas entendre ces chiffres alarmants. Vous vous êtes sans doute posé la même question que moi : pourquoi, dans un monde qui mise pourtant sur l’accumulation des richesses, c’est avant tout le nombre d’affamés qui est en expansion ? S’agit-il de la paresse des peuples endettés ? De leur incapacité à construire une économie autonome ? D’une barbarie congénitale qui les pousserait à se faire la guerre plutôt qu’à se développer ? Ces excuses sont commodes mais trop grossières pour tenir la route ! Alors, est-ce la faute au climat ? Encore une excuse bien naïve : en réalité, les conditions climatiques du Sud sont majoritairement plus favorables à l’agriculture. Est-ce la production alimentaire qui est insuffisante ? Pas du tout ! Selon la FAO, la Terre pourrait nourrir convenablement 12 Milliards d’êtres humains ! Cela prouve que la faim n’est pas une fatalité ! Elle est la conséquence d’une inégale répartition des richesses. 80% des affamés vivent dans des pays exportateurs de produits alimentaires. Seulement, ils sont trop pauvres pour acheter la nourriture sur le marché. Si l’on veut espérer enrayer les mécanismes qui mènent à cette tragédie, il est urgent de chercher à comprendre par quel processus des milliards de personnes sont maintenues dans des conditions de vie misérables afin de garantir le profit d’une poignée de multinationales.
Tout d’abord, quel est le but de ces dites multinationales ? La maximalisation des profits dans le laps de temps le plus court et au prix de revient le plus bas possible. Quel que soit le prix humain à payer. Aussi, bien qu’il serait légitime que les peuples du Sud s’approprient leurs ressources afin de se développer, cela va à l’encontre de leurs intérêts. Mieux vaut que persiste un monde sous-développé pour financer un monde développé. Et la dette est un redoutable moyen de domination.
Pourquoi les pays du Sud se sont-ils endettés ? Parce que leurs classes dirigeantes, économiquement dépendantes des sociétés transcontinentales et des gouvernements étrangers, ont préféré s’endetter plutôt que payer des impôts. Hélas, la part du budget qu’un pays consacre au remboursement de la dette est autant qu’il ne consacre pas : à la poursuite de l’autosuffisance alimentaire, à la scolarisation, à la santé, bref à l’amélioration des conditions de vie de ses habitants.
Afin d’obtenir les devises permettant de rembourser leur dette, les pays débiteurs exportent leur production agricole. Mais ils doivent encore importer les biens industriels dont ils ont besoin et qu’ils ne produisent pas eux-mêmes. Or le prix de ces biens a explosé. Pour faire face, les pays débiteurs sont obligés de contracter de nouveaux emprunts. C’est ainsi que leur dette ne cesse d’augmenter ! Et les créanciers leur imposent des taux d’intérêt cinq à sept fois plus élevés que ceux qui sont pratiqués sur les marchés financiers. Vous rendez-vous compte que les Pays en voie de développement ont remboursé l’équivalent de 102 fois ce qu’ils devaient en 1970, mais qu’entre temps leur dette a été multipliée par 48 ?!
Il arrive que des pays à bout de souffle soient sur le point de ne plus pouvoir rembourser leur dette. Pour qu’ils continuent à verser de l’argent à leurs créanciers occidentaux, par pur chantage économique et par les Plans d’ajustement structuraux, le Fonds Monétaire International les contraint : à réduire encore les dépenses de l’État ; à privatiser leurs entreprises, mines et services publics en les vendant aux sociétés transnationales ; à acheter à ces mêmes sociétés des armes pour équiper l’armée autochtone... Les privatisations créent des hérésies : dans nos nombreuses régions, la population est assoiffée car elle doit à présent payer de l’eau qu’elle puisait à la source avant que Nestlé ne se l’approprie !
De plus, les subventions à l’agriculture sont condamnées au prétexte qu’elles constituent des entraves déloyales à la concurrence. De leur côté pourtant les occidentaux se permettent de subventionner leur agriculture. Pouvant vendre à perte, leurs produits à bas prix concurrencent sur les marchés du Sud les produits locaux et les rendent invendables. Conséquence : les agricultures vivrières disparaissent et les agriculteurs, ne se nourrissant plus de ce qu’ils produisent, meurent de faim ! Cela vous fait peut-être songer au fameux scandale des agro-carburants ? Avec raison. Non seulement le fruit du travail des agriculteurs ne les nourrit plus, mais il ne les enrichit pas plus. La majeure partie des profits réalisés par les sociétés transcontinentales grâce au travail des habitants d’un pays d’accueil est transférée vers les sièges centraux, dans les pays riches. Les États sont complètement dépassés par les pouvoirs économiques des multinationales. La souveraineté populaire s’effondre. Au profit de qui au juste ?
Il convient ici d’évoquer les think tanks. Il s’agit de cercles de discussion - Council Foreign Relations, Groupe Bilderberg, Trilatérale... - où les riches établissent les stratégies qui assureront leur domination. Ses stratégies sont ensuite mises en application à Washington ou à Bruxelles. Par quel miracle ? Samuel Huntington l’explicite : « Les participants contrôlent pratiquement toutes les instances internationales, de nombreux gouvernements et la plus grande partie des capacités économiques et militaires. » En effet, les think tanks rassemblent des patrons de multinationales, de très hauts responsables politiques, d’anciens directeurs de la CIA, des dirigeants de grands médias et de banques, personnages qui cumulent généralement plusieurs fonctions. Leur magnat, David Rockefeller, ne cache pas ses intentions. En 1991, il déclarait devant la Commission Trilatérale : « La souveraineté supranationale d’une élite intellectuelle et de banquiers est préférable au principe d’autodétermination des peuples ». Et huit ans plus tard, dans une interview à Newsweek : « Quelque chose doit remplacer les gouvernements. Le pouvoir privé me semble l’entité adéquate pour le faire. »
Dans ce sens, le rapport de la Banque Mondiale demande « la suppression dans les contrats de travail de toute référence aux services sociaux. »
Il est évident que ces principes sont incompatibles avec la Déclaration universelle des droits de l’Homme si l’on met en parallèle l’article 22 qui stipule : « Toute personne, en tant que membre de la société, a droit à la sécurité sociale ; elle est fondée à obtenir la satisfaction des droits économiques, sociaux et culturels indispensables à sa dignité et au libre développement de sa personnalité, grâce à l’effort national et à la coopération internationale, compte tenu de l’organisation et des ressources de chaque pays ». Aujourd’hui la coopération internationale s’arrête là où commence l’intérêt économique. Néanmoins des alternatives sont possibles. Nous disposons déjà d’institutions créées pour permettre l’accroissement des libertés individuelles et du progrès : l’OMS, l’UNESCO... Mais pour l’heure, l’essentiel des budgets de l’ONU est financé par le gouvernement de Washington. Pour que les peuples soient réellement souverains quant à l’accès à la nourriture, à l’eau, aux soins et à tout ce qui est essentiel à la vie d’un homme et fait dès lors partie de ses droits imprescriptibles. Pour cela, il faut œuvrer à la création d’une instance supranationale indépendante de tout créancier privé qui veillerait au respect des Droits de l’Homme partout, sans passe-droits accordés aux puissants. Parce que l’éthique doit passer avant la logique d’accumulation du capital, les Droits de l’Homme doivent être opposables aux institutions financières : Banque Mondiale, Fond Monétaire International, ainsi qu’aux multinationales.
Quant à la dette, elle est une construction idéologique qui pourrait être surmontée de façon élémentaire. Actuellement, ce ne sont pas les gens qui ont emprunté – les dictateurs militaires et leurs acolytes – qui remboursent la dette. C’est la population qui paye à travers de sévères mesures d’austérité. Il pourrait en être tout autrement. En 1898, lorsque les États-Unis « libérèrent » Cuba de la tutelle de l’Espagne, ils annulèrent la dette de Cuba envers l’Espagne au motif parfaitement sensé que celle-ci avait été imposée sans le consentement de la population, de façon coercitive. C’est le principe de la dette odieuse, qui n’a pas à être payée. Nous devons nous saisir de ce principe juridique pour exiger l’abolition immédiate et sans contrepartie de la totalité des « dettes odieuses » c’est-à-dire les dettes extérieures des pays du tiers-monde qui induisent le sous-développement économique, la réduction des populations au servage et la destruction des êtres humains par la faim.
Une autre solution à notre problème consisterait à donner à la FAO les moyens d’éradiquer la faim dans le monde. Le dénouement de son récent sommet est surréaliste. L’année passée, les dépenses militaires mondiales se sont élevées à 1435 milliards de $. A côté de cela, le directeur général de la FAO, très humblement, nourrissait (!) l’espoir de réajuster à 44 milliards de dollars par an l’aide pour la lutte contre la faim. Vous qui avez suivi l’actualité savez que ses demandes n’ont pas trouvé d’écho. Même les sommes dérisoires qui sont d’habitude octroyées comme des moyens faciles de dédouaner les acquis de conscience occidentaux ne sont plus versées !!! Que les gouvernements soient assurés d’une telle impunité pour qu’ils n’aient même plus à cacher leur immoralité est édifiant sur le dédain avec lequel les puissants traitent les peuples. Ainsi la lutte contre la faim n’est pas prioritaire ? C’est du cynisme au plus haut degré ! C’est en fait de la violence structurelle. Cette violence se révèle très concrètement dans le système d’allocation des ressources disponibles sur la planète. Ainsi, les dépenses mensuelles des États-Unis pour la guerre en Irak et en Afghanistan, soit 16 Milliards de dollar, sont égales au Budget annuel de l’ONU ! Deuxième exemple : entre avril et octobre 2008, considérant que la situation était d’extrême urgence, les banques centrales et les États ont mis à la disposition du marché 7 800 Milliards de $ ! L’annulation de la dette extérieure publique des Pays en voie de développement, toute aussi urgente, ne leur coûterait que 1350 Milliards de $. Enfin, pour assurer à la totalité de la population les services sociaux essentiels (éducation primaire, santé, eau, assainissement), il suffirait de prélever un impôt annuel de 2% sur le patrimoine des milliardaires pendant 10 ans. Cela permettrait de garantir les besoins fondamentaux. Ces chiffres démontrent que c’est parfaitement réalisable.
Mesdemoiselles, mesdames, messieurs, il n’y a donc pas de fatalité. L’idéologie qui déclare qu’« il n’y a pas d’alternative » est sclérosante. Le réalisme économique nous fait accepter le pire sous prétexte que la nature humaine serait individualiste et l’économie libérale l’ultime lieu de son épanouissement. Or le propre de l’homme est justement de s’élever au-dessus de ses penchants primaires. Encourageant la poursuite de l’intérêt individuel sans la tempérer par le souci d’autrui, la logique concurrentielle capitaliste est rétrograde. Quelle est notre marge de manœuvre face à elle ? Nous pouvons informer sur les crimes qu’elle permet et ainsi éveiller les consciences sur la nécessité de la combattre. De même, nous devrions nous atteler à réfléchir sur les moyens de bâtir un État de droit mondial, qui nous prémunirait contre la loi du plus fort et qui créerait les conditions d’épanouissement des instincts sociaux de l’Homme.
Comme le dit Sartre, « l’homme sera d’abord ce qu’il aura projeté d’être ». Ne pas se résoudre à la fatalité, croire qu’un changement est possible et l’exiger partout où il est en notre pouvoir de le faire, c’est déjà résister. Si les stratèges en quête de profit dédaignent les vies humaines en péril, c’est parce qu’elles ne sont pour eux que des statistiques. J’en appelle à Claude Lévi-Strauss afin de souligner la priorité d’une prise en considération d’autrui à opposer à l’indifférence des technocrates : « Avant d’être un être pensant, l’homme est d’abord un être vivant et souffrant : c’est dans la seule mesure où chacun de nous parviendra à préserver dans son for intérieur le souvenir, l’expérience vivante de cette identité avec tout ce qui vit et donc tout ce qui souffre que l’homme pourra être assuré de n’être jamais traité en bête par ses semblables parce qu’il aura étendu la notion de semblable à tout ce qui vit et qui possède de ce fait un titre imprescriptible à la commisération. » Il ne faut pas oublier les milliards d’hommes dont le système orchestre la souffrance. Rien, sinon le hasard de nos naissances, ne nous sépare d’eux. Il nous faut inventer les structures de la société de demain qui favoriseront la coopération entre les hommes telle que la prône la Déclaration universelle des Droits de l’Homme. Il nous faut inventer les structures de la société de demain qui ne permettront plus que des hommes meurent de faim.