Accueil > Faim de justice - Frei Betto
Traduit par Thierry Pignolet. Édité par Fausto Giudice
Aujourd’hui, les personnes menacées par la faim chronique sont déjà 950 millions. Elles étaient 800 millions en 2007. Leur nombre a augmenté entretemps à cause de l’expansion de l’agrobusiness - dont les technologies élèvent le prix des aliments - et de l’extension de superficies destinées à la culture d’agro-carburants produits pour assouvir la faim des machines et non des gens.
La faim est l’arme la plus meurtrière inventée par l’injustice humaine. Elle cause plus de morts que toutes les guerres. Elle élimine 23.000 vies par jour, presque 1000 personnes par heure ! Les principales victimes sont les enfants.
Presque personne ne meurt par manque d’aliments. L’être humain supporte presque tout : politiciens corrompus, humiliations, agressions, indifférences, l’opulence de quelques-uns. Même l’assiette vide. C’est pourquoi on ne peut dire que qui que ce soit meure d’absence complète d’aliments. Les affamés, quand ils n’ont rien à manger, mettent en bouche, pour tromper la faim, des résidus de poubelles, des lézards, des souris, des chats, des fourmis et des insectes divers. Le manque de vitamines, d’hydrates de carbone [1] et d’autres substances nutritives essentielles affaiblit l’organisme et le rend vulnérable aux maladies. Les enfants rachitiques meurent d’un simple rhume, par manque de défenses.
Il n’y a que quatre facteurs de mort précoce : accidents (de travail ou de circulation), violence (meurtre, terrorisme ou guerre), maladies (cancer ou SIDA) et faim. Cette dernière produit le plus grand nombre de victimes. Toutefois c’est le facteur qui suscite le moins de mobilisations. Il y a des campagnes répétées contre le terrorisme ou pour traiter le SIDA, mais qui proteste contre la faim ?
Les misérables ne protestent pas. Seul celui qui mange se met en grève, descend dans la rue, manifeste publiquement son mécontentement et ses revendications. Comme ces gens ne souffrent pas de menace de faim, les affamés sont ignorés.
Les dirigeants des nations les plus riches et puissantes du monde réunis en G-8 au début du mois de juin à l’Aquila, en Italie, viennent de décider de libérer 15 milliards de dollars US pour calmer la faim dans le monde.
Quel cynisme se paie le G-8 ! Il est le responsable du fait que les affamés sont en multitude. Ceux-ci n’existeraient pas si les nations métropolitaines n’adoptaient pas des politiques protectionnistes, des barrières douanières, des multinationales d’agro-toxiques et de semences transgéniques. Presque 5 millions d’enfants ne mourraient pas chaque année si le G-8 ne manipulait pas l’OMC, ne stimulait pas l’inégalité sociale et tout ce qui l’augmente : la grande propriété, la spéculation sur les prix des aliments, l’appropriation privée de la richesse.
15 milliards de dollars seulement ! Ces messieurs-dames du G-8 savent-il combien de millions ont été destinés pour sauver, de septembre 2008 à juin 2009, non l’humanité, mais le marché financier ? Mille fois cette somme ! 15 milliards de dollars servent seulement à offrir quelques caramels à quelques affamés. Sans compter qu’un bonne partie de ces ressources ira dans la bourse des corrompus ou servira de monnaie d’échange électorale. « Je vous donne un pain, votez pour moi ».
Si le G-8 avait réellement l’intention d’éradiquer la faim du monde, il promouvrait des changements dans les structures mercantilistes qui régissent la production et le commerce mondiaux, et il canaliserait plus de ressources vers les nations pauvres que vers les agents du marché financier et l’industrie de guerre.
Si les maîtres du monde voulaient en finir réellement avec la faim, ils déclareraient la grande propriété foncière crime contre l’humanité et permettraient la libre circulation des aliments, comme cela se passe avec l’argent. De même si, au lieu d’attraper quelques narcotrafiquants, ils avaient aussi l’intention d’éradiquer le trafic de drogues, ils se mettraient à détruire définitivement, avec leurs machines de guerre, les champs de plantation de marijuana, de coca, de pavot et autres végétaux, les transformant en zones d’agriculture familiale. Sans matières premières, il n’y a pas de trafiquant capable de produire de la drogue.
Dire que le G-8 essaye d’en finir avec la faim ou de sauver la planète de la dégradation environnementale équivaut à espérer que le Père Noël apporte en cadeau, lors de la prochaine fête de Noël, une vie digne à tous les enfants pauvres. Le cynisme est tel que les dirigeants du monde promettent d’établir des bases de viabilité environnementale à partir de 2050.
Or l’un des enseignements évidents de la nature, c’est qu’à moyen terme, nous serons tous morts. Si la Terre a déjà perdu 25% de sa capacité d’auto-régénération, que va-t-il se passer si l’humanité doit attendre 40 autres années pour que se prennent des mesures efficaces ?
Si ceux qui n’ont pas faim avaient au moins faim de justice -vertu qualifiée de béatitude par Jésus -, alors l’espérance en un futur meilleur ne serait pas vaine.
[1] Les hydrates de carbone, ou glucides, sont une classe de molécules de la chimie organique. Ils font partie, avec les protéines et les lipides, des constituants essentiels des êtres vivants et de leur nutrition, car ils sont un des principaux intermédiaires biologiques de stockage et de consommation d’énergie. (Wikipedia)
Source : Fome de justiça
Article original publié le 27/7/2009
Thierry Pignolet et Fausto Giudice sont membres de Tlaxcala, le réseau de traducteurs pour la diversité linguistique. Cette traduction est libre de reproduction, à condition d’en respecter l’intégrité et d’en mentionner l’auteur, le traducteur, le réviseur et la source.
URL de cet article sur Tlaxcala : http://www.tlaxcala.es/pp.asp?reference=8329&lg=fr