Accueil > Chroniques Bangkok : Xavier Darcos est embêté
Le ministre français ne sait
plus quoi répondre aux questions qui lui sont posées. La discussion que nous
avons avec lui est suivie par une vingtaine de personnes dont des
journalistes et des associatifs de France et du Maroc . Depuis 10 minutes,
il est obligé d¹entendre des accusations contre la politique française de
lutte contre le sida. Alors, faute d¹arguments, acculé, et espérant de plus
qu¹on lui témoigne un peu de compréhension, il lâche : « Je n¹y connais pas
grand chose au sida. »
Une phrase assez courte, mais aux conséquences incroyables. Jacques Chirac a
donc envoyé à une conférence internationale sur le sida un type qui avoue
publiquement ignorer les enjeux de l¹épidémie, qui est incapable de répondre
aux questions qu¹on lui pose et qui joue les poupées malheureuses quand on
le presse de questions.
Petit plaisir
Pour arriver à cette tranche de sincérité, il aura fallu l¹interpeller et
perturber son discours en plénière, ce qui fut fait avec quelques Français,
Américains et Thaïs. Avant même qu¹il ne se mette à parler, il est
interpellé, avec les questions habituelles : « Où sont les 10 milliards
d¹euros ? Pourquoi la France ne respecte-t-elle pas ses engagements ? ». Le
monsieur devient livide. Nous scandons d¹abord en français « Sida : 10000
morts par jour, Darcos en veut toujours », puis les slogans classiques
anglais. La banderole « Aids : G8 must pay » est déployée. Nous décidons
ensuite de partir. Peut-être aurions-nous dû rester pour l¹empêcher de
parler, car son discours commençait par une phrase d¹un cynisme achevé sur
les 20 ans du sida et sur le fait qu¹on est loin d¹en avoir fini avec
l¹épidémie. Avec un ministre autant au fait que lui sur les questions liées
à la lutte contre le sida au niveau international, il est certes difficile
de ne pas être d¹accord.
Après ce petit plaisir, nous avons participé à une manifestation contre les
brevets, organisée par les Américains. Depuis le global village, nous sommes
partis à 60, traversant toute la conférence avec des pancartes comme
« Rights of patients, yes ; Rights of patents, no » [1] et des bodybags [2].
Nous entrons ensuite dans le stade qui sert de plénière pour interrompre une
session organisée par Pfizer. Slogans, banderole. Deux activistes prennent
la parole au micro, avec un discours concis et clair. Nous y restons une
quinzaine de minutes. Même s¹il s¹agit d¹un schéma classique, l¹ambiance est
restée électrique. Les labos ont en effet élaboré une nouvelle stratégie
pour nous neutraliser. Des jeunes gens, américains, canadiens, blancs et
bien portants, nous attendaient en tenue rouge, arborant des pancartes très
visibles où était inscrit « Socialism Kills » ou « Capitalism healths »,
prétendant donc que « les labos sauvent des vies », que « le stalinisme tue
plus que le sida », etc. La stratégie est grossière, qui vise à détourner
l¹attention des activistes de la cible véritable, et, en nous provoquant par
un discours dont on mesurera sans peine l¹intelligence politique, à nous
pousser par la colère à des comportements violents.
Une action réussie
Entre workshops et sessions, l¹après-midi n¹a pas résonné d¹échos
activistes, jusqu¹à 18 heures en tout cas. C¹est à cette heure que les
militants, rejoints pour l¹occasion par des travailleurSEs du sexe du monde
entier, ont interrompu un symposium de Gilead pour protester contre l¹essai
inéthique [3] mené par ce labo sur les prostituéEs. Une travailleuse du sexe
a pu lire son discours devant le public, qui, à partir de la dénonciation de
ces essais, a ensuite évoqué les difficultés rencontrées par les prostituéEs
face à la répression qu¹elles subissent. Là encore, une action réussie.
Au même moment se tenait la réunion entre activistes et organisateurs [4].
Les demandes étaient claires : des excuses publiques pour Ott, un temps de
parole lors de la cérémonie de clôture, et un engagement public à améliorer
le fonctionnement de la conférence, sur les prix, la sécurité,
l¹accessibilité des locaux, etc. Nous saurons jeudi pendant la cérémonie de
clôture si nous avons été entenduEs. Mais nous sommes d¹ores et déjà touTEs
remontéEs, et il vaut mieux pour la cérémonie et pour Joep Lange que nous
ayons obtenu gain de cause.
Notes
[1] « les droits des patients, oui ; les droits des brevets, non »
[2] des sacs pour le transport des cadavres
[3] lire notre analyse critique de cet essai ainsi que notre communiqué de
presse relatif à cette action, accompagné de photos
[4] lire à ce sujet notre précédente chronique